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Joutes littéraires

Voici un duel dans les règles de l’art entre Kamel Daoud et Yasmina Khadra. Cet accrochage, dont le choix des armes est laissé à la plume, s’est produit sur un ring avec des joutes littéraires bien acérées. Si j'ai un commentaire à faire, je reprendrais une sentence du terroir qui recommande de faire attention à son blé quand deux meuniers se disputent comme c'est le cas entre ces deux colosses de la langue française !

Réponse de Yasmina Khadra à un article de Kamel Daoud (Polémique largement diffusée par les médias).

Il est des gens qui, si on venait à étaler sous leurs yeux toutes les splendeurs de la terre, n’y verraient que leur propre laideur. La nuit est en eux. Telle la Vallée des ténèbres, le cauchemar officie jusque dans le cadet de leurs soucis. Un peu comme les vautours attendant la curée, ils fourbissent leur bec nauséabond pareils aux bourreaux leur hache et guettent le moindre remous pour sévir….. Ils sont le tort claironnant, la mauvaise foi en marche, et ils charrient dans leur sillage la misère mentale de toute une nation. Et lorsqu’ils s’attaquent aux baobabs, ils se veulent bûcherons tandis qu’ils ne sont que des termites. Ainsi court le monde à sa perte. Votre indignation tonitruante me déçoit, monsieur Daoud. J’ai du chagrin pour vous. Le seul journaliste que je recevais chez moi, le SEUL, c’était vous. Je croyais avoir trouvé dans votre pugnacité de la probité. Je me rends compte que je me suis trompé. Ainsi, c’est tout ce que vous avez retenu de mon entretien dans Liberté : le prix bahreïni, le prix maculé de sang, et un probable marché à conquérir ? Je ne suis pas un homme d’affaires, je suis romancier. Si je voulais l’argent, jamais je n’aurais accepté de diriger le Centre culturel algérien à Paris pour vous défendre, VOUS, et tous ceux en qui je crois. Je suppose qu’être Algérien, c’est être parfois daltonien. Vous vous octroyez le droit de donner des leçons à vos maîtres et vous ne les retenez pas. Parce que vous disposez d’une tribune, vous vous élevez au rang du despote et vous déversez votre fiel sur ceux que vous n’égalerez jamais. Ni en intégrité ni en labeur…… La manipulation, la désinformation qui a réduit notre pays à un dépotoir interlope, à un coupe-gorge et un vivier de la barbarie ? Je vous croyais aguerri, alerte, et vous réagissez au quart de tour comme une bombe artisanale……. Aucun pays n’est parfait. Surtout lorsqu’il a le malheur d’être riche. Et d’être convoité par des prédateurs de tout poil. Et puis, laissez-moi le temps de rentrer de Manama. J’ai dit dans Liberté que j’allais m’y rendre pour comprendre ce qui s’est réellement passé. Ne soyez pas impatient de me clouer au pilori. Généralement, ce genre d’inimitiés est un plat qui se mange froid. Mais je parie que vous n’auriez pas tenu une minute de plus pour sortir votre tronçonneuse et me tailler un costume en sapin à la manière des croque-morts. Quelle pitié ! Voyez-vous, cher ami, contrairement à vous, je ne prends pas pour argent comptant ce que racontent les médias. Je réfléchis là où vous réagissez de façon épidermique, voire haineuse. Pour votre gouverne, j’ai reçu le prix bahreïni, il y a des mois déjà. Ce sont les événements dramatiques récents qui ont reporté la date de son attribution. Je connais la région, et je sais au moins de quoi je parle. Contrairement à vous. En réalité, ce n’est pas le prix bahreïni qui vous chagrine, mais vos propres frustrations. La preuve, ce trop-plein de reproches contenu dans votre chronique digne d’un parano. Sincèrement, je m’attendais à un SMS de félicitations de votre part, comme j’en ai reçus de partout. Mais vous avez choisi de gâcher l’un de mes rares moments de satisfaction. Il s’agit pourtant de la plus haute distinction littéraire, le seul à être conjointement attribué et par l’Académie française et l’Institut de France; je suppose que vos œillères ne sont pas assez larges pour l’entrevoir. C’est bien beau de s’attribuer le beau rôle. Surtout lorsqu’on dispose d’un bout de papier dans un journal. Sauf que ça se passe sur le terrain, cher Daoud. Et je suis un homme de terrain. C’est précisément cette connaissance, cette lucidité, cette quête de vérité qui a fait de moi le romancier que je suis. Vous faites des vagues dans un verre d’eau, monsieur Daoud. Un proverbe algérien dit : « Si je ne te connaissais, mon rot, je te prendrais pour un coup de canon ». Par ailleurs, j’ai écrit : « En tout peuple, il y a ceux qui relèvent de la race et ceux qui appartiennentà l’espèce. Les races font d’une lueur une torche, et d’une torche un soleil. Les espèces crient au feu dès qu’elles voient un semblant de lumière au bout de leur tunnel. Mais il existe une troisième catégorie d’énergumènes plus ancrée dans la gangue originelle, une gent aussi vénéneuse que les champignons et aussi farouche que les fauves. Cette gent ne relève ni de la race ni de l’espèce, à peine trouverait-elle une case dans« la flore et la faune ». Je vous laisse le soin de vous caser, monsieur Daoud. Et dites-vous que l’abus n’est que le privilège des insignifiants. Je regrette seulement que cette diatribe hautement tendancieuse vienne de quelqu’un que je comptais parmi mes amis et parmi les écrivains que j’ai le plus défendus….. Je tiens à apporter un démenti catégorique, quant à vos allégations qui ont donné pour morte la jeune poétesse Ayat El Ghermazi. Cette personne n’a été ni violée ni assassinée. Elle est VIVANTE. Condamnée à 1 an de prison, elle a présenté récemment ses excuses à la télé bahreïnie. Raison pour laquelle j’ai accepté de me rendre à Bahreïn. J’ai déjà plaidé sa cause auprès des plus hautes instances du royaume. Je vais à Manama pour demander sa libération et, dans la mesure du possible, surseoir à l’exécution de 2 condamnés à mort, auteurs de l’assassinat de policiers. Eh oui, cher Daoud, je ne vais pas à Bahreïn pour établir un cahier de charges, mais pour des causes beaucoup plus nobles. Vous auriez pu m’appeler avant de me fustiger. Ca vous aurait évité d’écrire n’importe quoi. Yasmina Khadra

Réponse de Kamel Daoud

Ambassade du Bahreïn à Paris pour bien souligner le caractère de tirs groupés, mise au point tonitruante, débarquement d’alliés. Il ne manquait plus, hier, en réponse à l’indignation du chroniqueur, qu’un bataillon du «bouclier de la péninsule» envoyé par les Saoudiens. L’ambassade y confirme qu’une poétesse Bahreïni a été arrêtée parce qu’elle a dit un poème contre la monarchie et Yasmina Khadra ajoute qu’elle a présenté ses excuses à la télé du Roi (sachant ce que valent les excuses télévisées sous les dictatures). Pour les autres morts de la place de la Perle, et bien ils sont morts. On aurait pu s’arrêter au comique de la situation d’un écrivain de talent qui explique qu’il va au Royaume des Al Khalifa pour faire ce qu’il ne fait pas dans son pays : libérer des prisonniers, enquêter sur des atteintes aux droits de l’homme, rétablir la vérité et demander des grâces. Sauf que la lecture de la réponse de Khadra est intéressante du point de vue de la psychologie : s’y confirme cet étrange paradoxe entre un écrivain doué et un personnage qui bascule sans effort dans la paranoïa devenue naturelle. Tout ce que vous pouvez dire de Khadra à Khadra, il le prendra pour une attaque personnelle, une traîtrise et une jalousie. Le vocable de ses réponses aux «détracteurs» ressemble d’ailleurs aux pires paroliers des chanteurs Raï : on y retrouve le mauvais œil, la dénonciation des «jaloux», la plainte et la solitude de l’incompris. Khadra croit que l’amitié est une forme d’allégeance et croit que toute critique de son œuvre est la preuve qu’on le jalouse. En Algérie, comme ailleurs, le personnage reste admiré pour son talent mais fait rire à propos de ses croisades de ventilateurs. On aime le lire mais sa course à la reconnaissance est devenue agaçante. Il est devenu impossible de parler de cet homme et de son œuvre sans qu’il vous charge et vous pend haut et court. Dans les milieux de presse ou du monde de l’édition, rares sont ceux qui n’ont pas eu droit à «sa réponse» systématique, dénonçant la jalousie et l’œil des envieux. Khadra entend des coups de feu partout, voit bouger les buissons comme à l’époque de la guerre et soupçonne de traîtrise tout ceux qui disent non à son délire. Pour la réponse d’hier, le chroniqueur est encore étonné par sa violence, sa grossièreté et sa méchanceté disproportionnée. On y est presque forcé de croire que Khadra répond à un cauchemar personnel, un ennemi intime et pas à une critique. Les mots y sont grossiers, les explications oiseuses et le procès du chroniqueur d’une rare violence. L’exercice de liberté est donc impensable dans l’univers de cet écrivain : on y a droit à deux postures : le garde-à-vous ou le procès. Dire ce que l’on pense dans sa proximité est le signe d’une trahison. Ecrire que cet homme a tort est la preuve d’une embuscade. L’attitude de cet homme fait rire en Algérie mais peu osent le lui dire en face. C’est ce qu’a fait le chroniqueur au nom d’une ancienne amitié qui ne doit pas être confondue avec basse allégeance. Le chroniqueur ne croit pas à l’immunité qu’impose le copinage. Il s’est donné cette liberté de parler du pays et des siens sans recourir à l’insulte, à la haine ou au compromis. Une liberté que Khadra n’arrive pas à concevoir, ni à admettre, ni à imaginer : enfant d’une sévérité mutilante, il continue de confondre guérilla et critique, livres et victoires militaires, médailles et talent. Le chroniqueur, dans son indignation à propos de cet écrivain, a essayé de garder la mesure et les bonnes manières et d’expliquer qu’il s’agit d’un devoir que d’attirer le regard d’un homme sur le risque du comique de sa posture. Le chroniqueur a usé de la phrase la plus neutre et de la mesure la plus proche de la justesse pour parler de cet homme, sachant qu’il allait se heurter à une susceptibilité légendaire et à une violence habituelle chez cet homme qui ne conçoit ni la liberté des autres, ni leur libre critique, ni leur indépendance en dehors de son univers ou contre son univers. Cela n’a servi à rien. Si vous dites du bien de Khadra, Yasmina en sera jaloux. C’est un univers clos. On ne remerciera peut-être jamais les divinités d’avoir fait en sorte que les personnages de Khadra sont meilleurs que sa personne. Si tous lui ressemblaient, on aurait eu droit à quelques bons «livres verts» à lire sous la menace et pas à de bons romans. Mais passons. Il faut remercier aussi le destin : avec un président pareil, le chroniqueur aurait pourri dans les prisons du pays pour une seule chronique. Monsieur Khadra, réveillez-vous donc : arrêtez de courir après les prix, arrêtez de croire que personne ne vous aime, arrêtez de promener cette haine de soi par le biais de la méfiance envers vos compatriotes. Acceptez la liberté des autres, leurs efforts et leurs différences. Essayez de ne pas être le centre du monde et votre monde deviendra plus grand. Le chroniqueur dit ce qu’il pense et l’écrit. Sur vous, vos employeurs ou vos «maîtres», pour reprendre votre lexique féodal. Cette liberté, ce n’est pas vous qui la lui enlèverez : il n’y a pas de dictature en littérature, pas de casernes. Ce bout de papier, comme vous écrivez, est un bout du pays. Et cessez, enfin, de vous plaindre : vous excellez tellement dans les chagrins imaginaires que peut-être vous devriez vous intéresser à écrire des chansons d’amours passables. Vos explications sur votre voyage au Bahreïn ne tiennent pas la route, et vous le savez. Vous vous battez pour la vérité au Bahreïn ? Revenez donc au pays et faites-le ici où il y a des harcelés, des immolés et des battus : on cotisera tous, peuples et pauvres pour vous offrir un prix. Vous les aimez tant ! Pour le reste, le chroniqueur refuse toutes les dictatures militaires ou pas. Le pays est libre, l’armée ne fait plus de politique officiellement. Elle ne fait donc pas de la littérature. Vous êtes un civil depuis des années Monsieur Khadra, détendez-vous. Pour le reste, prenez un peu de la hauteur : l’histoire des pays arabes est en train d’être faite par des gens qui meurent, des sacrifiés, des jeunes et des hommes de courage. Choisissez votre camp et surtout votre mesure : c’est un Royaume pour les humbles et pas pour les vaniteux. Allez au Bahreïn des Al khalifa, nous, on attendra de le visiter quand il n’y aura plus d’apartheid. Kamel Daoud

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